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Camille Fournet : Le sac Objet – Interview exclusive avec Claire Aubadie, directrice artistique

Date : 18 septembre 2023
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Rencontre avec Claire Aubadie, directrice artistique de l’emblématique maison Camille Fournet, une femme de convictions pour qui l’art du sac s’étudie avant tout tel un objet, de par son allure certaine, ses mouvements, sa technicité, son histoire … Rencontre avec un esprit créatif aiguisé et unique.

Claire Aubadie

Que représente la maison Camille Fournet signée Claire Aubadie ? 

Camille Fournet est une marque historique. Monsieur Camille Fournet était un artisan qui confectionnait des bracelets de montres durant l’après-guerre, et inscrit ainsi un historique de savoir-faire très ancien. C’est à partir des années 90 que la petite maroquinerie s’est imposée au cœur de la marque. Pour ma part, je suis arrivée en 2015 et mon idée de base, c’était de transposer le savoir-faire au sein de la maroquinerie. J’ai ainsi créé les fondations de la gamme.

Il faut savoir que je suis designer-produit de formation : je viens de l’école Boule, je suis spécialisée dans le mobilier, ce qui fait que je réfléchis avant tout à la structure, comment la forme vie dans le temps. Ce sont ainsi les codes du monde de l’architecture que j’ai cherché à insuffler à la maison, et ce, dès le départ : je vois la pièce avant tout comme un objet. Sa forme doit avant tout être conservée dans le temps, tout en permettant à la matière de vive, en étant portée, remplie, appropriée à son porteur.

Les pièces signées Camille Fournet sont entièrement confectionnées en France, à Tergnier en Picardie pour être exacte. Il est d’ailleurs important pour moi d’échanger avec les artisans. Et même de les challengers. Souvent, s’il m’est dit qu’un processus n’est pas possible, je ne le prends pas pour un non mais comme une invitation à la discussion, à la réflexion de comment rendre cela possible. Changer la matière ? l’assemblage ? Ou même la machine ? Cela peut donner naissance à de belles découvertes notamment des matériaux innovants…

Le 32.14 – Camille Fournet – Photos ©CedricVioll

Par exemple, si on prend le 32.14, j’ai d’abord travailler le cabour pour sa souplesse, quand le porté a été imaginé pour que rien ne parte au hasard, en plus d’un système de réglage discret. Il est possible de le porter de différentes matières ce qui donne aussi une tout autre allure. Je peux aussi vous parler du « Plissé » qui fait de ce sac un modèle très architecturé, pour lequel je me suis demandé comment créer de la vibration, de la vie à une matière tout en la maîtrisant.

Aussi, les sacs signés Camille Fournet ont une allure non-genrée. Réfléchir en tant que designer, ce n’est pas réfléchir en termes de genre. Il y a certes des modèles proposés pour les femmes et les hommes, mais mes designs peuvent être portés tout autant par les deux selon les styles. Concernant les cuirs, j’aime les beaux classiques. Je travaille à fond les matières, je reste sur des tons forts et neutre puis casse avec une couleur forte. Une des spécialités de la marque, ce sont les cuirs exotiques, travaillés à partir des bracelets de montre jusque dans notre maroquinerie.

À venir ? Le configurateur sac, pouvoir faire son sac sur mesure, choisir son cuir, sa couleur,…

Camille Fournet – Photos ©CedricVioll

Pouvez-vous nous conter votre processus artistique ? 

Souvent, c’est une envie qui surgit. Par exemple, le futur sac prévu pour 2024 : j’ai eu cette envie de quitter les codes de l’architecture pour travailler le flou. C’est sûrement venu du mobilier où j’étais inspirée par le ‘Bold’, telles que ces grosses typographies, quelque chose qui s’impose, qui est franc, massif, monolithique. Cependant, récemment, mes dessins étaient beaucoup plus dirigés vers le mouvement. Et le flou, c’est travailler à partir de matières brutes que tu drapes pour en faire un objet. Qu’est-ce que le bold dans la maroquinerie ? Ces sacs sont plus monolithiques de par ces formes très pures, mais c’est aussi prendre de la matière, les rassembler et leurs laisser cours, pour un geste très intuitif… La matière décide par elle-même.

Il faut savoir que je ne dessine pas. Je travaille à partir de maquette, à partir de papier ou de poudre de cuir, je teste, je module, je pince et dans l’espace, je sculpte ces formes. Un processus qui souligne mon rapport à l’objet et me permet d’étudier au mieux le tombé, la proportion sur le corps humain, le mouvement… Au final, c’est comme un vêtement mixé à du mobilier. Une fois l’alliance parfaite trouvée, je viens le structurer et travailler sa coque, et cherche ainsi à maîtriser son naturel, pour que, le sac soit rempli ou nom, son allure reste la même tout en ayant l’air naturelle.

Concernant les couleurs, je les travaille à partir de mélanges de peintures que j’opère moi-même selon mon ressenti.

Si vous devriez citer un artiste, un designer d’intérieur, un livre et un film ?

Je suis une véritable fan de science-fiction. Je m’y sens proche. La science en elle-même est une manière d’être très créatif. Car quand on y pense, la science demande à créer une hypothèse sur le fait de projeter une explication à quelque chose avant même de la découvrir. Il faut donc avoir un esprit assez créatif pour se dire quel est l’anti-matière, comment la faire exister, la prouver.

Je citerais donc René Barjavel, qui est un auteur de la Seconde Guerre Mondiale et qui a beaucoup écrit sur notre monde aujourd’hui, ainsi un roman totalement futuriste et avant-gardiste à l’époque traitant des sujets tels que la dependance à l’énergie, la dépendance aux écrans, l’évolution vers le veganisme ou la viande de synthèse… Son roman « Ravage » est un véritable descriptif de notre époque, romancée avec son regard, ses termes et avec les technologies existantes à l’époque et comment ils les projetaient dans le futur. Et ça, pour moi, c’est ultra inspirant, un véritable pas de côté par rapport à la réalité et surtout très créatif. Je te citerais également Greg Egan, auteur de science-fiction australien qui aura beaucoup inspiré la série Black Mirror sur Netflix.

Côté artiste, je dirais Brancusi, auteur de cette phrase qui m’a énormément inspirée : « la simplicité c’est la simplicité aboutie« . C’est un reflet de mon travail, qui parait très simple, très minimaliste comme le sien au final, mais qui reflète aussi un travail colossal dont résulte cette certaine légèreté. Je citerais aussi Dove Allouche, artiste contemporain qui travaille le verre. Ce que j’adore, c’est le processus scientifique que l’on peut trouver dans la matière, le gaz intégré, la façon dont ses œuvres se réalisent… Il va designer ses propres cadres qui viennent de faire partie de l’œuvre. Ses œuvres vivent, jusqu’à disparaître dans le temps, et je trouve ça génial, doté de beaucoup de sens, notamment en tant que designer, on se demande souvent quelle trace, on laisse. Et dans l’idée, j’adorerais créer des choses qui vivent puis disparaissent…

Côté film, le dernier, qui m’a marqué, c’est Los Reyes Del Mundo, un film sur des jeunes de Medellin à la recherche d’une terre volées à leur famille. Les acteurs ne sont pas de véritables acteurs. Le film le plus dur et beau que j’ai vu récemment. Des plans superbes, donnant place à l’imagination. Je suis également une fan de la Nouvelle Vague, de Godard à Éric Rohmer, ce que j’y adore c’est le coté contemplatif, frontal, simple mais à la fois très maitrisé. Godard par exemple, un naturel fort, une simplicité maîtresse, une même colorimétrie. Inspirant !

Camille Fournet – Photos ©CedricVioll

Chez Camille Fournet, vous êtes aussi réputé pour vos pièces sur-mesure – Quelle est l’importance du sur-mesure, voir de la customisation sur un produit de luxe aujourd’hui ?

Aujourd’hui, lorsque l’on souhaite offrir quelque chose, pourquoi ne pas en faire quelque chose d’unique dans lequel se projette une personnalité ? C’est aussi intégrer le client dans l’histoire du produit. Et ce principe, je le pousse jusque dans le nom même du sac. Personnellement, je surnomme mes objets, et je veux laisser le luxe à l’acquéreur de la pièce de faire de même, et ce, en attribuant ces numéros à mes pièces, afin d’inviter ce côté personnel. Il est vrai que je les crée, mais je ne me les approprie pas. Finalement, tu endosses une personnalité, ce qui est différent de s’approprier un produit. C’est ce que je trouve intéressant. 

Le cadeau idéal ?

Un cadeau à mi-chemin entre sa propre personnalité et la personnalité du récepteur. C’est un échange, qui implique de connaître l’autre, d’être à son écoute, mais en hommage à vos rencontres. C’est ça, le cadeau idéal selon moi !

Camille Fournet – Photos ©CedricVioll

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