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Rencontre avec l’artiste Léo Luccioni à l’honneur du show « JAWBREAKER » représenté par la galerie Romero Paprocki

Date : 8 mars 2024
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Un profond retour à l’enfance. Voilà ce qu’inspire à première vue le show « Jawbreaker » signé Léo Luccioni représenté par la Galerie Romero Paprocki. Inévitablement lié aux souvenirs, Léo a pour ambition de stimuler nos sens, à nous procurer ce « shot » de dopamine, l’hormone du bonheur, notamment par le sucre que comportent ces bonbons. Hautement addictifs, ces créations représentent aussi, malgré leur apparence inoffensive, un danger sournois. Rencontre avec l’artiste multidisciplinaire Bruxellois Léo Luccioni qui, au travers d’une esthétique colorée, pop et forte, met en lumière l’ambiguïté de notre rapport au consumérisme à l’ère du néolibéralisme.

Hello Léo ! Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Hello Sarah ! Je suis Léo Luccioni. J’ai étudié à La Cambre à Bruxelles en Printmaking jusqu’en 2017. Depuis, je travaille et vis à Bruxelles, où ma pratique artistique a évolué vers une diversité de techniques et de formes, comme la sculpture, la céramique, la peinture, le dessin…

La pratique du printmaking et la réflexion technique et sociologique qui l’accompagne ont modifié ma perception des objets de notre quotidien issus de l’industrie. Récemment, je me suis particulièrement intéressé aux produits de consommation de l’industrie agroalimentaire, tels que les différentes formes de sucre, et notamment les bonbons, que je considère comme des symboles ou des allégories de l’anthropocène.

© Léo Luccioni

Tu as dernièrement présenté la suite du projet « ACID », « JAWBREAKER » un Show avec la Galerie Romero Paprocki pour Ceramic Brussels : peux-tu nous dire quelle a été sa ligne directrice ? D’entrée de jeu, ce show semble stimuler autant la mémoire que les sens du visiteur par ces bonbons XXL, peux-tu nous raconter ta réflexion ?

Dans la continuité du premier show ACID où j’exposais surtout des agrandissements de bonbons, je représente leurs mises en relation dans le second show JAWBREAKER. Ce sont des formes faites à partir de symboles, qui semble être dans un premier temps un simple jeux d’enfants.

Léo Luccioni – JAWBREAKER – Ceramic Bruxelles Galerie Romero Paprocki – Photos © Benjamin Baltus

Pourtant l’idée principale derrière ce projet est de parler du sucre en tant que molécule, de son caractère addictif, et de la placer au même niveau que d’autres substances ou drogue. C’est un sujet complexe car je m’attaque à la critique du sucre et de ses effets néfastes tout en reconnaissant la nostalgie et l’affection que je porte à ces formes. Cela crée un mélange de désir et de rejet dans mes sculptures, ce qui demande une certaine subtilité de lecture.

Ce qui est fascinant, c’est que le sucre est la substance la plus addictive, responsable de nombreux décès. Il est omniprésent dans la plupart des aliments transformés, même ceux auxquels on ne s’attendrait pas. Il pourrit notre santé, simplement pour que les industries puissent réduire leurs coûts de production, nous rendre accros à cette nourriture flingué et maximiser leurs profits… Paradoxalement, il reste l’une des substances les plus appréciées, avec la plus belle image.

Léo Luccioni – JAWBREAKER – Ceramic Bruxelles Galerie Romero Paprocki – Photos © Benjamin Baltus

Parmi toutes les formes que prend le sucre, ce sont les bonbons qui le mettent le plus en valeur, le plus attractif, séduisant visuellement. En changeant leur échelle, je cherche à modifier leur statut et à changer le regard que le spectateur porte sur eux.

Ainsi, on réalise que les bonbons forment déjà une collection de mini-sculptures extrêmement symboliques, allégoriques et narratives. On y trouve des bouches de Dracula, des dents, des cordes de pendus, des Schtroumpfettes, des œufs, des yeux défoncés, des cerveaux, des langues… Beaucoup de symboles associés à la mort, à la peur et au sexe, qui sont loin de l’univers de l’enfance. L’idée est donc de mettre en lumière ces formes familières qui cachent en réalité des messages et des discours souvent négligés.

Léo Luccioni – JAWBREAKER – Ceramic Bruxelles Galerie Romero Paprocki – Photos © Benjamin Baltus

Peux-tu nous expliquer le phénomène visuel de la paréidolie ?

Dans la série de peintures qui accompagne les sculptures des bonbons XXL, je représente ce souvenir d’enfance assez commun où, quand nous étions petits, nous nous allongions dans l’herbe à regarder les nuages, cherchant des formes reconnaissables parmi les motifs aléatoires. C’est un peu comme quand tu vois un visage dans un nuage ou une forme familière dans une tache d’encre. Ce phénomène s’appelle la paréidolie. C’est notre cerveau qui cherche à trouver des modèles familiers dans des choses aléatoires, comme les nuages.

Léo Luccioni – ACID – Galerie Romero Paprocki – Photos © Allison Borgo

Dans cette série de toiles, je représente cachés dans les nuages et le ciel bleu, uniquement des marques et des symboles liés à l’industrie du sucre. C’est comme si toute la nature était polluée par notre monde moderne et nos symboles industriels, au point de contaminer même nos souvenirs d’enfance. Nous ne voyons que les représentations de nos fantasmes dictés par l’industrie, même dans la nature.

Tes plus grandes sources d’inspiration dans la vie de tous les jours ?

Une de mes plus grandes inspirations dans la vie provient des objets les plus communs, les plus invisibles et pourtant les plus présents : ceux que l’on jette à peine après les avoir consommés, ceux que l’on nomme déchets. C’est dans un sens un regard singulier sur les déchets, et plus spécifiquement sur les emballages, avec leurs technicité, leurs informations, leurs signes, leurs typographies qui m’intéressent. Je les observe pour leur qualité technique ; aucun artiste ne sait imiter un objet aussi banal qu’une canette, une bouteille d’eau ou un paquet de chips, pourtant ils n’ont aucune valeur intrinsèque. C’est la première fois dans l’histoire humaine que des objets infalsifiables, n’ont aucune valeur. Alors, j’essaie de les envisager aujourd’hui avec le même regard que celui que portent les archéologues sur les poteries et les déchets des civilisations passées. Parce que je sais que les traces qui resteront de notre civilisation seront celles que nous considérons le moins, nos déchets, qui seront là bien après nos monuments, nos œuvres d’art, nos pensées, et autres traces temporelles que nous estimons.

Léo Luccioni – JAWBREAKER – Ceramic Bruxelles Galerie Romero Paprocki – Photos © Benjamin Baltus

En grandissant, quelle a été ta relation, ton expérience avec l’art ?

C’est une question compliquée. Tout dépend si l’on parle de la relation et de l’expérience pratique de l’art ou du milieu de l’art. En ce qui concerne la pratique artistique, je dirais que c’est un jeu depuis le départ. En revanche, pour ce qui est de la réalité du milieu de l’art, c’est plus difficile de jouer une fois que l’on a pris connaissance des règles. Parfois, cela peut même dégoûter du jeu.

Léo Luccioni – JAWBREAKER – Ceramic Bruxelles Galerie Romero Paprocki – Photos © Benjamin Baltus

Peux-tu nous compter ton processus créatif ?

Je collecte des idées, et dès que j’en ai une qui me vient, je la note dans mes carnets. J’ai pris l’habitude de le faire. Je ne contrôle pas vraiment quand elles surviennent. Souvent, une bonne idée surgit à un moment inattendu, lors d’une balade ou d’une insomnie. Pendant un bref instant, une forme significative semble émerger du chaos, au milieu de pensées floues. Ensuite, je peux retourner à mes carnets et souvent, je pars d’une première idée qui me sert à explorer d’autres idées, créant ainsi une sorte d’arborescence d’idées qui forme un ensemble cohérent et narratif. C’est un peu comme l’idée du marabout de ficelle, où la fin d’une pièce devient le point de départ de la suivante. Ensemble, elles forment un ensemble concret

Léo Luccioni – JAWBREAKER – Ceramic Bruxelles Galerie Romero Paprocki – Photos © Benjamin Baltus

Tu utilises plusieurs supports/moyens d’expression, comment ces derniers se définissent ?

Je propose toujours des approches techniques très différentes. Cela me permet d’aborder ma pratique artistique sous un angle nouveau et de rester enthousiaste de nouvelles choses.

Ce qui unit l’ensemble des techniques que j’utilise, c’est le ton qu’elles adoptent. Elles conservent la même dialectique, le même caractère malgré leurs différences techniques. Le support d’expression est crucial car il traduit plus ou moins bien de manière formelle une idée. Cette diversité me semble nécessaire pour ne pas m’enfermer dans des idées limitées au métalangage d’une seule technique.

J’ai toujours eu peur de devoir faire la même chose toute ma vie, mais c’est une dérive du marché de l’art : des produits d’artistes, des artistes produits, des œuvres signatures.

Léo Luccioni – JAWBREAKER – Ceramic Bruxelles Galerie Romero Paprocki – Photos © Benjamin Baltus

Comment ton style a évolué dans le temps ?

J’aimerais que le style soit toujours au service de l’idée. Je n’ai pas vraiment de limite esthétique prédéfinie, donc l’évolution peut prendre des tournants très différents en fonction du projet.

Léo Luccioni – JAWBREAKER – Ceramic Bruxelles Galerie Romero Paprocki – Photos © Benjamin Baltus

Ton plus grand challenge artistique ?

Probablement rester ouvert, perméable jusqu’au bout, me réinventer, et éviter de finir par créer des artefacts caricaturaux de mon travail.

Un objet, travail ou souvenirs que tu affectionnes particulièrement ?

J’aime beaucoup le film Waterworld que je regardais petit, c’est ma madeleine de Proust.

Léo Luccioni – JAWBREAKER – Ceramic Bruxelles Galerie Romero Paprocki – Photos © Benjamin Baltus

Avec quelle personnalité, morte of vivante, choisirais-tu de dîner ?

J’aimerais bien partager une pizza avec le personnage de fiction Truman Burbank joué par Jim Carrey, le philosophe Démocrite, et bien sûr Alain Chabat. Peut-être aussi Damien Hirst, une fois décédé.

Léo Luccioni – JAWBREAKER – Ceramic Bruxelles Galerie Romero Paprocki – Photos © Benjamin Baltus

Ton Top 3 artistes favoris à travers le temps ? Un livre ou un film ?

En ce moment, j’apprécie particulièrement François Curley, Sayre Gomez et Alex Da Corte, pour n’en citer que trois !

Léo Luccioni – ACID – Galerie Romero Paprocki – Photos © Allison Borgo

Projets futurs à noter ?

Un solo show de peinture chez Stems Gallery en 2024 qui s’appellera « The Sun Does Not Exist » !

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