À l’ère de l’Anthropocène, où l’empreinte humaine sur la Terre est devenue irréversible, une question essentielle resurgit : quel lien l’artiste entretient-il avec les matériaux qui l’entourent, et que cherche-t-il à leur insuffler ou à révéler à travers eux ?
Lenny Kravitz : Visite de son Hôtel Particulier Parisien devenu manifeste de Style
Il ne cherchait pas ça. Ce qu’il voulait, c’était un petit appartement sur les quais, deux pièces maximum, un abri discret où poser sa guitare entre deux tournées. Mais un jour, son agent immobilier lui souffle : « Ce n’est pas ce que tu veux, mais tu dois le voir. » C’était un hôtel particulier des années 1920, caché dans une allée feutrée du 16ᵉ arrondissement. Une demeure entière, pas un étage. « Non, non, absolument pas », répond Kravitz d’abord. Puis il entre. Et là, évidence : « C’est chez moi. »

L’ancien repaire parisien de la comtesse Anne d’Ornano, bordé d’ambassades et de silence, devient alors l’écrin européen du musicien. Mais il faut le métamorphoser. Transformer les fastes aristocratiques en repaire habité, profond, vivant. Ça tombe bien : Kravitz est aussi designer. Avec son studio Kravitz Design, il façonne des lieux aussi expressifs qu’un solo de guitare. Il y passera la moitié de l’année, l’autre étant partagée entre son refuge aux Bahamas et un ranch au Brésil.

Dès l’entrée, le ton est donné. Un piano Steinway Kravitz Grand, dessiné par ses soins, trône au pied du grand escalier. Il joue quelques notes, pieds nus sur le sol en stuc pierre, les murs renvoient un son pur, organique. En face, un Basquiat de 1984 veille. Plus loin, dans le Grand Salon, un sculpture Senufo, un Warhol représentant Muhammad Ali et une table basse des années 70 dessinent un espace où la spiritualité dialogue avec la puissance esthétique.


Dans la salle à manger, un table Karl Springer encadrée de chaises Afra & Tobia Scarpa et de fauteuils Emmanuelle accueille les repas. Au-dessus du buffet signé Paul Evans, le portrait de son grand-père Albert Roker veille. Figure centrale, presque totemique. C’est grâce à lui, dit Kravitz, que tout a commencé.

Le salon télévision de la suite principale assemble un canapé Giorgio Montani, une table basse Gabriella Crespi, un ottoman signé Kravitz Design et une monumentale suspension Murano de Carlo Scarpa récupérée dans un théâtre du Minnesota. Dans la chambre, un ensemble de Guido Faleschini pour I4 Mariani voisine avec un miroir Louis XVI, un lustre Baccarat et un couvre-lit en mudcloth du Mali. Même les salles de bains affichent leur personnalité : une chaise Hiquily de 1975, une table d’appoint Mangiarotti, un miroir du 18ᵉ siècle, une sculpture-main dorée de Pedro Friedeberg…


Mais Kravitz ne meuble pas, il compose. Dans la bibliothèque — écrin boisé couleur espresso — se croisent ses Grammy Awards, les bottes de boxe d’Ali, les chaussures de James Brown, un portrait de Diahann Carroll par Geoffrey Holder et un bar-discothèque Paul Evans. Tout est mémoire. Tout est récit.

Dans le Roxie Room, une pièce hommage à sa mère, les clichés noir et blanc de Roxie Roker ponctuent le décor. En contrebas, une galerie expose un blouson de Miles Davis, offert par Cicely Tyson juste après sa mort.
Et puis il y a la Chaufferie, son antre cachée. Ancienne salle des chaudières, devenue speakeasy intime. Les tables de bistrot de Saint-Ouen, la boule disco allemande des années 40, la calandre de voiture incrustée dans la brique, le système son affûté… tout y respire la fête. C’est là que Zoë, sa fille, organise désormais ses soirées.


Ce lieu, baptisé Hôtel de Roxie, est bien plus qu’un pied-à-terre. C’est un hommage vivant, une maison pensée comme une constellation de racines et de passions. Un manifeste esthétique, un journal intime en volumes. « Soulful elegance », dit Kravitz. Élégance habitée, sincère, incarnée. À l’image de ce qu’il est — et de ce qu’il transmet.
