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« Embodied Perspectives » Galerie Cadet Capela : Rencontre avec l’artiste Clara Rivault, entre corps et matière

Date : 23 février 2024
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Rencontre avec Clara Rivault, artiste plasticienne pour qui corps et matières sont synonymes d’inspiration et de language. Découverte de son univers au coeur du Group Show « Embodied Perspective » aux côtés de Douglas Rieger et Effie Wanyi Li, en ce moment présenté par la galerie parisienne Cadet Capela.

Bonjour Clara, enchantée ! Peux-tu te présenter en quelques mots ? 

Je m’appelle Clara Rivault, je suis artiste plasticienne, je travaille principalement le verre et ce sous différentes formes. On peut dire que je réinvente des techniques ancestrales, j’utilise par exemple le vitrail, le vert soufflé, des techniques anciennes pour finalement créer ma propre technique. Souvent, j’entremêle des histoires mythologiques, mes lectures avec le monde réel, celui qui m’entoure, ces personnes que je prends en photo ainsi que ces prélèvements photographiques lors de mes voyages. 

Tu figures au sein du groupe show « Embodied Perspectives » présenté par la galerie parisienne Cadet Capela : peux-tu nous en dire plus sur quelle a été sa ligne directrice ? 

Cette curation explore l’idée du corps tel que toile, outil ou perspective sculpturale. On y retrouve des visions culturelles totalement différentes, il y a cet artiste américain (Douglas Rieger), cette autre artiste qui vient de Chine (Effie Wanyi Li) et moi (France, ndlr). Il y a ce dialogue sur le rapport au corps, de comment on l’envisage, de comment on le ressent… au final cette exposition est une véritable experience sensorielle. 

Le corps et la matière semblent clef au sein de ton univers, peux-tu nous raconter ton processus créatif ?

Mon travail est assez intime. Au début, c’est ce que j’ai envie d’exprimer au moment présent, selon mes lectures mais aussi à travers mes résidences artistiques à l’étranger : c’est aussi la rencontre d’un territoire, de personnalités. À partir de là, je vais d’abord écrire, puis dessiner avant de faire des prélèvements photographiques, comme si je collectais du vivant, de la nature, comme si je voulais créer cette température colorimétrique avec des textures qui pourraient se lier au sujet. À partir de cette collection, je vais photographier des individus, il y a aussi tous ces liens qui vont donner naissance à une histoire onirique avec laquelle je vais entremêler mes lectures mythologiques. En exemple, je pourrais parler de mon triptyque « Nausicaa, Pénélope, Circé » (2022), une version contemporaine des trois grâces. C’est au travers de ces rencontres avec ces femmes autour de moi que se sont créées ces analogies. Ensuite, il y a ce travail de décomposition, de fragmentation pour ensuite rassembler ce tout et ainsi créer cette nouvelle histoire via des techniques ancestrales. Dans mon travail il y a la mémoire du geste, cette transmission de techniques qui renvoie au travail de la main, de l’outil, le corps étant la notion première au sein de mon univers. Je ne serais pas à l’aise à l’idée de travailler avec des techniques où mon corps ne serait pas en action : au final, le corps c’est mon sujet mais aussi mon outil.

Au sein de votre travail, il y a cette allure futuriste de par ces ajouts métalliques et une allure ancestrale par ces sculptures de plâtre, peux-tu nous en dire plus sur les matières qui t’inspirent le plus ? Et pourquoi ? 

Le plâtre c’est une matière que j’ai découvert lors d’une residence à Limoges, c’est la matière avec laquelle j’arrive à capturer cette écriture de la peau, ces cicactrices, ces fibres… c’est une technique que j’élabore sur les individus, prendre ces empreintes de corps directement sur le vivant. Ce plâtre, je le vois comme une coquille mais aussi comme une frontière entre notre monde intérieur et extérieur. Finalement la peau c’est ce qui reçoit, ce qui est marqué et ce qui ressent. Le plâtre est ainsi cette coquille protectrice qui va révéler la lecture de nos sentiments.

Aujourd’hui, je travaille beaucoup le verre, j’ai eu un coup de foudre à Meisenthal au Centre International des Arts Verriers : voir ces artisans travailler cette matière si proche du feu, ces mains sales et rugueuses, ces corps musclés… il y avait une sorte de tension venant de cette danse avec le verre qui en devenait presque érotique. Il y a ce rapport vivant avec la matière qui peut se casser, cette fragilité, cette unicité… Il y a ce sentiment que tout peut se briser à tous moments, ce qui me renvoie aussi à ma propre fin : j’ai compris que cette matière allait devenir ma matière de prédilection, en plus du fait que j’aime souligner que le verre est plus solide que ce qu’il donne à voir. 

Tes plus grandes sources d’inspiration dans la vie de tous les jours ? 

Les autres. Ceux que je rencontre, mes relations amoureuses, amicales, ces relations passantes qui vont me marquer de par un geste : je regarde les choses de manière très rapprochée afin de capter ces détails de peau, de corps, de gestuelles et puis il y a aussi les décors, ce qui m’entoure et surtout le ciel. Je le photographie tous les jours, c’est aussi souvent ce qui va me guider au travers de mes choix d’ambiances, de colorimétrie, de température, de lumière… au final, travailler le verre c’est aussi travailler la lumière. 

En grandissant, quelle a été ta relation, ton expérience avec l’art ? 

Je viens d’une famille d’artistes. Des artistes dans différents domaines, ma mère a été un personnage clef : elle était restauratrice de monuments historiques. J’ai grandi dans son atelier à Montmartre, je la regardais restaurer ces toiles, elle a ce véritable don pour la couleur… c’est avec elle que j’ai commencé à dessiner, à sentir ces odeurs, à avoir cette envie de travailler avec mes mains. Ses mains m’ont aussi beaucoup marqué. J’ai d’ailleurs un souvenir très puissant de ses mains en action.

Ton plus grand challenge artistique ? 

C’est celui que je suis en train de réaliser aujourd’hui. J’ai été lauréate d’un concours pour l’oeuvre monumentale en façade du nouveau siège social de l’Institut Français, où j’ai proposé ce projet de vitrail extérieur. À l’époque, aux moyen-âge, les vitraux étaient la bible des pauvres, celle des illettrés. Les vitraux sont souvent vus de l’intérieur, et l‘idée de montrer ces vitraux de l’extérieur à la vue de tous, sortir de cette intimité, jouer avec cette lumière extérieure tout en transmettant aussi cette lumière à l’intérieur des bureaux de l’Institut Français et ce selon les heures de la journée et ainsi offrir ce vrai jeu de lumière extérieur vers intérieur… Le challenge fut de rendre cela possible à travers des oeuvres qui sont au final faussement fragiles pour un environnement urbain. 

Un objet, travail ou souvenir que tu affectionnes particulièrement ? 

Je peux vous parler de ma pièce socle. Celle qui m’a fait comprendre que j’avais quelque chose à dire en tant qu’artiste. Elle s’appelle « La promesse d’une promesse » et découle d’une histoire familiale : il y a d’abord eu cette pièce nommée « La main ». Il faut savoir que j’enregistre les mémoires de ma grand-mere atteinte de la malade d’Alzheimer depuis que je suis petite et elle me parle sans cesse de cette scène qu’elle aurait vécue enfant, j’ai d’ailleurs gardé une minute de cet entretien que j’ai mise en pièce sonore au coeur d’un musée en Pologne où elle raconte que, pendant la guerre, elle se retrouve face à sa maison réduite en tas de pierre : elle cherche sa mère et la retrouve en appercevant sa main avant d’affirmer : « maman a été disloquée, j’ai retrouvée la main de maman, maman avait des mains magnifiques. » Ce que je trouve touchant dans cet entretien, c’est qu’elle préfère parler des mains de sa mère plutôt que de sa perte et de cette image macabre. Au final c’est devenu pour moi une sculpture mentale, cette main qui s’est transformée en pierre, j’ai aussi compris pourquoi cette partie du corps me fascinait depuis enfant. J’ai retrouvé la photographie de ce tas de pierres qui fut mon premier transfert photographique où le spectateur se devait de marcher sur cette dernière, cette idée de piétiner un souvenir qu’on aimerait oublier. De cela en a découlé cette oeuvre, « La promesse d’une promesse » qui est ce que j’appelle une ‘Pocket Piece’, une pièce que j’ai toujours avec moi : elle forme deux doigts en bronze découpés, l’un représente mon empreinte, l’autre un inconnu. C’est une pièce de poche faite pour être manipulée, passée de mains en mains, de poches en poches, se partager des promesses, ces promesses que je me fais à moi-même et aux autres, que je garde auprès de moi. Je m’inspire aussi de la culture des Yakuza qui avaient pour tradition de se couper les doigts en moyen de paiement et de réconciliation… C’est une pièce qui me suit encore aujourd’hui. 

Si vous deviez citer un artiste, un livre et un film ? 

La première exposition que j’ai vu fut celle de Sophie Calle à la galerie Perrotin, je parlerais encore d’elle aujourd’hui ayant vu récemment sa retrospective au musée Picasso, c’est une artiste qui m’a énormément inspirée de part son intimité, son travail sur l’autre, sa poésie ainsi que ce côté absurde et surréaliste en plus de sa façon de voir l’objet, de créer ses reliques sur ces objects-sujets… 

En livre je vous parlerais de Patti Smith, notamment M Train pour la manière romantique dont elle parle de ces objets tout au long du récit. Actuellement je lis Just Kids que j’admire pour son âme et sa façon poétique de jouer avec les mots.

En film, j’ai été marquée par Sans Soleil de Chris Marker dès ma première année aux Beaux Arts pour sa façon d’entremêler territoires, images et ces connections de cultures divergentes. Au final, sa vision est un peu le procédé que j’ai au coeur de mon protocole de création. 

Projets à venir ?

Cette oeuvre pour l’Institut Français nommée « Hedera » prévue pour Avril 2024, ainsi qu’Art Paris en avril prochain avec la galerie Les Filles du Calvaires. 

Crédits photos : ©Thomas Marroni / Galerie Cadet Capela

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