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Trilobe : Du côté de chez Gautier

Date : 14 août 2025

Le 17 décembre 2018, dans le ciel, Persée chevauchant Pégase vole au secours d’Andromède. De son côté, Hercule affronte le dragon sous le regard des signes du zodiaque, Bélier, Lion, Gémeaux et autres Poissons. Sur terre, Gautier Massonneau, lui, savoure sa victoire : après cinq ans de gestation, il présente enfin au public réuni sous les voûtes du musée des Arts et Métiers son premier modèle de montres baptisé « Les Matinaux ».

Une Folle Journée – Diamant – Platine © Trilobe

Circonvolutions temporelles


Cette première série de cent montres pose les bases du design de sa marque, Trilobe. Surtout, elle impose sa vision singulière du temps, qu’il aime à qualifier de « libéré ». Car, contrairement à l’usage, où le temps est fixé sur le cadran, sur les montres Trilobe, c’est lui qui est en mouvement, tandis que les indicateurs restent immobiles. Une inversion audacieuse de la tradition, mais qui relève d’une certaine logique. C’est du moins ainsi que l’idée est venue à Gautier, lors d’un séjour au Japon. Comme pour beaucoup de marques indépendantes, l’aventure trouve son origine dans un constat : la difficulté de trouver une montre qui coche toutes les cases. Or, selon l’adage « on n’est jamais mieux servi que par soi-même », pourquoi ne pas créer sa propre montre selon ses propres critères ? Mais le jeune homme n’est ni horloger, ni fils d’horloger, ni même suisse (même s’il imite plutôt bien l’accent neuchâtelois). Il obtient alors le contact de Jean-François Mojon, horloger et fondateur de Chronode.

Gautier Massonneau © Trilobe

D’une conversation qui va finalement durer beaucoup plus longtemps que prévu, Gautier Massonneau va non seulement concevoir une montre, mais aussi une marque. Animé par un esprit entrepreneurial qui ne demandait qu’à s’épanouir, le jeune homme se lance dans l’élaboration de la montre de ses rêves. Mais le chemin sera long : pour donner corps à sa vision, il lui faut repenser l’objet-montre. Il doit alors convaincre des artisans suisses pour le moins sceptiques. Ces gardiens d’une tradition multiséculaire ne sont pas accoutumés à voir leurs habitudes bousculées. Ainsi, le fait que les indicateurs des Matinaux, en forme de trilobes, ne soient pas alignés perturbe grandement la rigueur helvétique. Ils vont pourtant finir par être séduits par le projet. Gautier va même plus loin en développant, avec le Cercle des Horlogers, un mouvement exclusif, le bien-nommé X-Centric, qui équipe désormais l’intégralité des montres de la marque.

Architecture horlogère


La marque se distingue par une vision très architecturale de la montre, à commencer par son emblème, le fameux trilobe. Ce symbole est utilisé depuis des siècles par de nombreuses civilisations. C’est cette dimension intemporelle et interculturelle qui a séduit Gautier Massonneau, lui qui ne voulait en aucun cas limiter sa marque à sa seule personne. Le chiffre 3 est aussi lourd de sens et renvoie notamment aux trois piliers du temps : heures, minutes, secondes. Autre élément phare du design Trilobe, la rosace, inspirée par les motifs de la Sainte-Chapelle.

Trilobe – Nuit Fantastique – Secret © Trilobe

Il faut dire que le fondateur a de qui tenir, entre une mère architecte et un père décorateur d’intérieur. D’où un goût certain pour l’esthétisme et une capacité à s’imprégner de tout ce qui l’entoure, que ce soit lors de ses voyages aux quatre coins du monde ou lorsqu’il flâne dans les rues de Paris. C’est d’ailleurs lors d’une visite à l’Opéra Garnier qu’il tombe en pamoison devant un immense lustre, qui lui inspirera une version diamantée de la gamme Une Folle Journée. Sur ce modèle, le temps s’égrène au rythme de trois cercles excentrés (comme il se doit). Dans la version bijou, chaque cercle est pavé de diamants. Un exploit à la fois horloger et joaillier, puisqu’il a fallu prendre en compte l’effet du poids des diamants sur le mécanisme. Pour le compenser, le bureau technique a mis au point un nouvel alliage d’aluminium, de magnésium et de silicium. Il a également collaboré avec un diamantaire parisien pour tailler les gemmes et avec un sertisseur de la rue de la Paix pour concevoir une technique exclusive de serti invisible. Enfin, pour inscrire les heures, la marque a fait appel à un artiste miniaturiste qui a peint les chiffres directement sur les gemmes. Cette Folle Journée précieuse constitue ainsi un concentré de savoir-faire artisanal (et français), pour un résultat envoûtant.

Luxe onirique


Dès la genèse de Trilobe, Gautier Massonneau a souhaité mettre la technique au service de la poésie. En témoigne Le Temps Retrouvé, véritable curiosité qui a fait grand bruit à la dernière édition de Watches & Wonders. Ce buste, à première vue très classique, cache en réalité un mécanisme complexe, hommage à la tradition des automates. Il offre surtout une expérience multisensorielle : si la référence proustienne convoque immédiatement le goût de la madeleine, les yeux de la statue s’animent pour marquer les quarts d’heure. Les heures, elles, sont marquées par des rosaces situées au niveau des tempes, qui s’ouvrent pétale après pétale, puis se referment à l’unisson. L’ouïe est chatouillée par un doux tic-tac, réminiscence des pendulettes de Paris, et le toucher est sollicité par la texture de la céramique de marbre, matière innovante qui allie esthétisme antique et légèreté. Enfin, l’odorat est stimulé par un effluve qui s’échappe des narines de la statue : mis au point par un nez professionnel, ce parfum peut être personnalisé, tout comme le visage, sculpté à la demande.

Une Folle Journée – Dune – Titanium © Trilobe

Autre exemple de poésie appliquée à l’horlogerie : la déclinaison Secret, qui propose de décorer le cadran d’un ciel étoilé scintillant grâce à l’utilisation de Super-LumiNova. Déjà vu ? Sauf qu’ici, le ciel représente une date, un lieu et même une heure très précise, choisis par le client. La voûte céleste est ensuite déterminée grâce à un algorithme. Ainsi, d’un seul coup d’œil, le porteur de la montre se remémore un instant marquant de son histoire personnelle. Libre à lui d’en informer les curieux ou d’en garder précieusement le secret (d’où le nom). Car, chez Trilobe, le luxe n’est jamais ostentatoire : il est personnel, intime, émotionnel. L’excentricité voulue par le fondateur se cache d’ailleurs sous des abords d’une grande sobriété (boîtier rond, diamètre maîtrisé, couleurs discrètes). La marque s’accorde même le droit de refuser toute demande de personnalisation qui serait contraire à son identité. Une audace en soi, dans un milieu où, plus qu’ailleurs, le client est roi.

Trilobe est profondément marqué par les choix audacieux de son créateur, à commencer par sa reconversion, passant d’un poste envié d’expatrié dans une grande entreprise au (petit) monde de l’horlogerie, dont il n’est pas issu. C’est aussi le choix d’un positionnement haut de gamme, alors que de nombreuses marques indépendantes font, au contraire, celui de la montre accessible, de peur d’entrer directement en concurrence avec les maisons suisses. Mais Gautier Massonneau a su défendre sa vision poétique du temps et le savoir-faire qui va avec. La maison est d’ailleurs particulièrement fière de son ancrage parisien : ses ateliers se trouvent à deux pas de la place Vendôme. Une manufacture horlogère au cœur de Paris ? Cela ne s’était plus vu depuis bien longtemps.

© Trilobe

Gautier Massonneau et son équipe n’ont sans doute pas fini de nous surprendre. Quelle excentricité ont-ils prévue pour fêter les dix ans de la marque, en décembre 2027 ? Mais ne soyons pas trop pressés, car c’est bien le message de Trilobe : le temps passe, inexorablement, alors prenons le temps de l’apprécier.

Le Temps Retrouvé © Trilobe

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