Technologie peu mise en avant dans le monde de l’horlogerie de luxe, l’alarme mécanique figure pourtant parmi les innovations les plus utiles sur un garde-temps.
Breguet : 250 ans d’innovations et de passion
Pour son anniversaire, la Maison Breguet propose une exposition ainsi que des montres mettant en avant son remarquable patrimoine.
Il n’est habituellement pas de bon ton de demander l’âge d’une dame. Pourtant, la Maison Breguet affiche fièrement ses 250 printemps. Pour marquer l’occasion, elle invite amateurs et grand public à parcourir sa riche histoire grâce au réaménagement du flagship place Vendôme en boutique-musée. Elle a également décidé de gâter ses admirateurs en proposant plusieurs modèles créés spécialement pour l’événement.
C’est en effet en 1775 qu’Abraham-Louis Breguet, figure emblématique et respectée, ouvre sa boutique sise au bien-nommé Quai de l’Horloge, sur l’île de la Cité. Pour fêter dignement ce quart de millénaire, la Maison a décidé de mettre en avant les grandes innovations qui ont marqué son histoire mais aussi celle de l’horlogerie. Intitulée « les Tiroirs du Temps », cette exposition ludique a investi la boutique de la place Vendôme, dont l’intérieur a été entièrement repensé.

Tiroirs aux merveilles
À travers une scénographie évoquant des tiroirs d’archives, le public se voit offrir l’opportunité unique de (re)découvrir les grandes innovations de la maison, de la fin du XVIIIe siècle au XXIe siècle. Chaque tiroir ouvert propose aux visiteurs d’effectuer une petite action qui déclenchera une animation vidéo expliquant brièvement la création et l’intérêt d’une fonctionnalité, d’une complication ou d’un matériau. Ainsi, en faisant tourner une sphère, on découvre le principe du célèbre tourbillon ; en plaçant son poignet dans un tube, on retrace l’histoire de la première montre-bracelet, qui aurait été créée pour Caroline Murat, sœur de Napoléon et reine de Naples (d’où le nom de la ligne féminine) ; en faisant tinter une cloche, on fait résonner le récit du ressort-timbre.

Cette installation interactive permet au public, et même aux plus jeunes, de prendre conscience du rôle de Breguet dans l’évolution de l’horlogerie, de la montre « perpétuelle » au pivot magnétique, en passant par le « pare-chute ». Il faut dire que la Maison a, depuis longtemps, conscience de l’importance de son patrimoine. En témoigne un musée, riche de nombreuses pièces historiques, et des archives particulièrement fournies et jalousement conservées. Des expositions ont également été organisées, comme Breguet au Louvre : un apogée de l’horlogerie européenne, en 2009, et des pièces de la collection sont régulièrement prêtées. C’est Emmanuel Breguet, membre de la famille du fondateur, qui veille sur ce trésor. Historien passionné et voyageur infatigable, il diffuse la bonne parole aux quatre coins du monde, écrit, supervise les expositions, gère les archives : un véritable sacerdoce pour assurer la pérennité et la transmission du patrimoine familial.

Une montre « d’une nouvelle construction »
Alors que « les Tiroirs du Temps » permettent de se replonger dans l’histoire, Breguet parvient aussi à conjuguer le passé au présent, sous la forme de montres-anniversaires. La première, dévoilée en avril pour marquer le coup d’envoi des célébrations, est la Classique Souscription 2025. Une élégante montre mono-aiguille, inspirée d’un modèle créé par Abraham-Louis Breguet lui-même en 1797. Le terme de « souscription » fait référence à un procédé audacieux. En effet, alors que la Révolution française a privé les horlogers de la majeure partie de leur clientèle (aristocrates et même membres de la famille royale), A.-L. Breguet a l’idée de proposer une montre simple et, surtout, de demander un acompte. L’objectif est d’assurer une trésorerie minimale nécessaire au lancement de la production et de ne pas prendre le risque de se retrouver avec une montre sans acheteur, fabriquée en pure perte. Une idée astucieuse en des temps incertains mais surtout novatrice, sorte de Kickstarter avant la lettre. En outre, Breguet utilise des prospectus pour faire la promotion de ses montres, moyen de communication accessible et démocratique, au diapason du contexte sociétal de la toute fin du XVIIIe siècle. Les innovations ne sont donc pas seulement techniques, elles sont aussi stratégiques, « marketing » dirions-nous aujourd’hui.

Si la version originale était une montre de poche, la version 2025 est montée sur bracelet en cuir. D’un diamètre et d’une épaisseur plus modestes, pour pouvoir tenir sur le poignet, elle reprend cependant la principale caractéristique de son aïeule : l’aiguille unique, bleuie à la flamme comme il se doit. Ce design, dont le minimalisme surprend dans un univers de complications, renvoie aussi à la montre « à tact », qui permettait de lire l’heure du bout des doigts sans avoir à sortir ostensiblement la montre de sa poche. L’utilisateur faisait ainsi preuve « de tact » face à ses interlocuteurs. Certains des plus beaux exemplaires ont été commandés à A.-L. Breguet par les membres de la famille Bonaparte. L’un d’eux, figurant une flèche en diamants sur un cadran guilloché et émaillé bleu, commandé par Joséphine, épouse Bonaparte, appartient encore à la collection de la Maison.
La montre reprend tous les codes Breguet, dans la plus grande sobriété : cadran émail grand feu blanc, sur lequel se détachent chiffres arabes et aiguille à pomme évidée, dont la typographie et la forme sont à jamais associées à la Maison. Seule entorse à la tradition : le tour de la boîte n’est pas cannelé mais satiné. Les cornes sont légèrement courbées, ce qui affine l’allure de la boîte et permet à la montre d’adhérer au poignet avec souplesse. Enfin, le fond transparent laisse apparaître le mécanisme, ainsi qu’un petit message, issu du prospectus de la montre originale, comme gravé à la plume.

Mais l’hommage au passé n’empêche pas l’innovation. Le spiral est en Nivachron, alliage à base de titane amagnétique breveté par Nivarox-FAR, fabricant de composants horlogers appartenant au Swatch Group (tout comme Breguet). Côté esthétique, les platines arborent un nouveau guillochage appelé « Quai de l’Horloge ». Rappelons que le guillochage est l’une des grandes spécialités de la Maison. Une machine, actionnable uniquement à la main, est d’ailleurs visible à l’étage de la boutique.
Enfin, pour habiller sa montre, Breguet a mis au point un nouvel alliage d’or 750‰, composé d’or pur, d’argent, de cuivre et d’une touche de palladium. Ce mélange subtil lui donne un aspect chaud, presque bronze : un excellent compromis entre l’or jaune et l’or rouge.
Le précieux objet est présenté dans une remarquable boîte en cuir de veau rouge, parfaite imitation des écrins d’autrefois. Il est accompagné d’une loupe X10, composée du même or « Breguet », afin d’en apprécier toutes les subtilités. Les amateurs peuvent même jouer jusqu’au bout le jeu de la souscription en précommandant la montre moyennant un acompte de 25 %.
Urbi et orbi : à Paris et au monde
La montre Classique Souscription n’était que la première cerise sur le gâteau d’anniversaire. Quelques semaines plus tard, la Tradition Seconde Rétrograde 7035 fut l’invité d’honneur d’une soirée mémorable à Shanghai. Puis, ce fut au tour de la Type XX Chronographe 2075 d’atterrir sur la 5e Avenue, à New York. Enfin, c’est à Genève qu’a été présentée au public la Classique Tourbillon Sidéral 7255.

Cette dernière a été dévoilée très exactement le 26 juin, pour faire écho au 7 messidor de l’an 9 du calendrier républicain, soit le 26 juin 1801, date du dépôt de brevet du tourbillon par A.-L. Breguet. Là encore, la Maison allie passé et présent en proposant non pas un tourbillon traditionnel mais un « tourbillon volant », qui n’est fixé que par un seul point. Pourquoi faire compliqué lorsqu’on peut faire encore plus compliqué ? La Maison a, en effet, fait le choix d’une construction « mystérieuse », qui « consiste à imprimer un mouvement à un organe sans que celui-ci ne soit visiblement relié au reste du mouvement ». Le tourbillon semble donc léviter au milieu d’un cadran en verre aventuriné, imitant le ciel étoilé. Après avoir pris de la hauteur avec la Type XX, destinée au départ à l’aviation, Breguet ne vise rien de moins que les étoiles avec ce bien nommé Tourbillon Sidéral.

À travers les expositions et les surprises distillées mois après mois, cet anniversaire est l’occasion de rendre hommage au fondateur de la Maison. Parmi les amateurs de montres, Abraham-Louis Breguet fait quasiment figure de patriarche, quand bien même d’autres horlogers talentueux l’auraient précédé. Ainsi, à côté de la sainte trinité helvétique Audemars Piguet/Patek Philippe/Vacheron Constantin, Breguet occupe une place à part et inspire le respect, même chez ceux qui ne portent pas de montres de la marque. Cela tiendrait à la personnalité du fondateur « à la fois horloger, ingénieur et homme des Lumières », selon l’un des horlogers-conseillers de la boutique parisienne.
La Maison a donc des bases solides et un ADN fort qui lui sert de fil rouge. Une Breguet se reconnaît entre mille, et même les modèles les plus récents semblent être des morceaux d’Histoire. Une constance qui, pourtant, en chagrine certains. D’aucuns, en effet, lui reprocheraient son manque d’innovation (un comble), ou du moins son manque d’audace.
Pourtant, à l’heure où le secteur du luxe vacille, les observateurs mettent en avant les maisons qui ont su garder le cap et ne pas céder aux sirènes de la hype ou à la tentation de s’aventurer loin de leur port d’attache pour séduire de nouveaux publics. Tout en continuant à innover, Breguet reste solidement ancré dans son histoire et dans les traditions du savoir-faire horloger, avec des artisans qui travaillent encore à la main. Ceux-ci sont d’ailleurs régulièrement sollicités pour aller à la rencontre du public. Comme à la boutique place Vendôme, qui a accueilli en mai une perleuse, un horloger et un angleur. De petites mains de grand talent, dont le doigté contribue largement à la valeur de la montre. Car si le diable est dans les détails, le luxe s’y cache aussi.

Quelles surprises la Maison Breguet nous réserve-t-elle ? Reprise des festivités en septembre, avec la Marine Hora Mundi 5555: cinquième montre-anniversaire, produite à seulement 50 exemplaires. Il reste en effet quelques mois pour profiter de cet anniversaire exceptionnel. Et puisqu’il y est de tradition de faire un vœu, faisons celui d’être toutes et tous présents au 300e anniversaire de la Maison qui aura lieu… en 2075.