Pour sa première exposition personnelle à New York, Laure Mary dévoile un travail d’une rare intensité, où l’absence devient matière et le silence, un langage. Longtemps associée à des compositions vibrantes et oniriques, l’artiste française opère ici un dépouillement radical, né d’un geste intime : se délester de tout, sauf des livres qui l’accompagnent. De cette épure surgit une peinture plus nue, plus incisive, où chaque détail agit comme une énigme à résoudre. Being Normal Is Really Not Normal est une invitation à contempler l’inattendu : un œuf fissuré, une lumière sous une porte, des fragments suspendus entre apparition et disparition. À la manière d’Hemingway et de Bret Easton Ellis, dont les mots hantent discrètement l’exposition, Laure Mary explore la dramaturgie de ce qui manque, la puissance de ce qui n’est pas dit. Ses toiles, à la fois claires et troublantes, rappellent que la normalité est une illusion, que la vérité se cache dans les interstices, et que la beauté surgit souvent là où l’on a osé retrancher.
Fred Meylan — Sous la surface, la lumière : L’interview exclusive
Dans le calme vibrant de la rue Saint-Honoré, à deux pas de la place Vendôme, un souffle d’eau et de lumière traverse les murs. C’est ici, au Studio 332, que Fred Meylan expose l’âme du mouvement. Derrière son objectif, il ne cherche pas à figer le monde : il le respire, il l’écoute, il s’y immerge — littéralement. Photographe de mode reconnu, ancien reporter, aventurier du réel, Meylan s’est peu à peu laissé happer par un élément qui lui ressemble : l’eau. À travers elle, il explore la fragilité du geste, la beauté de l’instant et la vérité du corps. Rencontre avec un homme libre, à la curiosité intacte, pour qui la photographie est un dialogue entre hasard, lumière et émotion pure.

Derrière l’objectif et au-delà des images, qui est Fred Meylan ?
Je suis un curieux de la vie. J’ai toujours voulu que chaque jour ne ressemble pas au précédent. Je viens d’une famille très classique, mon père dentiste, ma mère experte-comptable, mais j’ai su très tôt que je ne voulais pas d’une existence réglée. Ce qui m’anime, c’est la découverte : des gens, des lieux, des énergies différentes. Pas par rébellion, mais par instinct de liberté. Je crois que j’ai bâti ma vie autour de cette idée : vivre plusieurs vies dans une seule.

Pouvez-vous nous retracer votre parcours, les jalons, les rencontres ou les hasards qui vous ont mené à cette écriture photographique singulière ?
Au départ, je voulais être reporter de guerre. J’ai travaillé vingt ans chez Sygma, la plus grande agence de presse de l’époque. J’ai couvert les conflits, les attentats, les crises politiques. C’était intense, exigeant, dangereux aussi. Puis, un jour, par hasard, un rédacteur en chef m’envoie photographier des top models. Je découvre alors un univers radicalement différent. Les photographes de mode voyageaient, travaillaient entourés, créaient la beauté plutôt que de la subir. Je me suis dit : c’est ça que je veux faire. Ce n’était plus une question de fuite ou de drame, mais de lumière. Après vingt ans d’ombre, j’avais envie de grâce.

La mode a façonné votre regard. Mais vous êtes aussi un photographe de l’instant. Comment naît chez vous une image ?
L’instant, c’est tout. Tu peux le préparer, mais tu ne peux pas le provoquer. Dans mes photos sous l’eau, par exemple, rien n’est truqué, rien n’est retouché. C’est une question de seconde, de souffle, de hasard maîtrisé. Je travaille sans artifice. L’eau décide. C’est un dialogue entre ce que j’ai dans l’œil et ce que la nature m’offre. Je peux attendre une vague pendant des jours… ou la trouver en une minute. C’est ce que j’appelle l’instant juste, celui qui ne se répète jamais.

Dans votre dernière exposition, l’eau devient muse, complice et matière. Vos clichés dégagent une intensité presque kinesthésique, comme si l’on ressentait physiquement le poids, la fluidité, la résistance. Quelle est l’histoire de ce projet ?
Tout est parti d’une image, prise presque par hasard. C’était pour une campagne de parfum, au bord de la mer. Une vague est arrivée, j’ai déclenché, et la photo a eu un succès incroyable. J’y ai vu un langage. J’ai commencé à plonger, à travailler dans l’eau, à explorer la beauté de ce moment suspendu. Aujourd’hui, cela fait plus de dix ans que je poursuis cette série. Quinze images sélectionnées sur des milliers. Chacune est née d’une rencontre : un lieu, une lumière, un visage. L’eau est une muse exigeante, mais elle ne ment jamais.

Votre rapport à l’eau semble presque spirituel. D’où vient cette attrait ?
Je crois que j’ai toujours eu besoin d’eau. Je suis Taureau, né dans la Somme, et j’ai grandi entouré de rivières. J’ai failli me noyer plusieurs fois, mais j’y retourne toujours. Aujourd’hui, je pratique la nage en eau froide trois fois par semaine. C’est devenu un rituel : le froid, le choc, puis le calme… une véritable méditation. L’eau remet tout à zéro.
Sous l’eau, il n’y a plus de bruit, plus de rôle à tenir. Juste le corps, la lumière et le silence.

Dans vos images, le corps n’est jamais figé. Il est traversé, habité, porté par l’eau et par la lumière. Comment trouvez-vous l’équilibre entre la grâce du geste et la force de la matière environnante ?
La vérité du corps. Ce moment où il n’est plus en représentation. Je dis souvent que photographier quelqu’un, c’est prendre un peu de son âme. Ce n’est pas une posture, c’est une rencontre. Il faut qu’il y ait de la confiance, du trouble. L’eau révèle ce que l’on cache. Une fille trop sûre d’elle sur terre devient fragile dans l’eau. Et c’est dans cette fragilité que naît la beauté.

Votre travail de la lumière est souligné — naturel, sensuel, jamais forcé. Est-ce un choix esthétique ou spirituel ? Comment faites-vous de la lumière une matière vivante à part entière ?
Les deux. La lumière, c’est la matière première. Sans elle, il n’y a pas de vérité. Je n’utilise presque jamais de flash, sauf cas extrême. J’aime la lumière du matin, rasante, celle qui effleure la peau, ou celle du soir, plus douce, plus mélancolique. Ce que je cherche, c’est la résonance : la façon dont la lumière glisse sur l’eau, se diffracte, s’invite dans les plis du corps. C’est une respiration.

Vos angles, vos cadrages, vos contre-plongées semblent instinctifs. Quelle part laissez-vous à l’improvisation ?
Je dirais 90 %. Je descends avec mes poids, je reste au fond, et j’attends. Parfois, je fais 4 000 photos pour en garder une seule. Mais celle-là, quand elle arrive, c’est une évidence. Il y a une géométrie du hasard. Je travaille sans écran de contrôle. Je ne vois pas ce que je capture. Je fais confiance à ce que je ressens. C’est une question d’énergie, d’intuition. Et quand tout s’aligne, la lumière, l’eau, le geste, c’est magique.

Vous parlez souvent de liberté. C’est un mot qui revient comme un fil rouge dans votre vie.
C’est le seul luxe que je revendique. La liberté de choisir mes projets, mes clients, mes voyages. De dire oui ou non. De travailler avec les gens que j’aime. J’ai vécu des années d’intensité folle, j’ai eu les voitures, les succès… mais tout ça ne vaut rien sans liberté. Aujourd’hui, le vrai luxe, c’est d’avoir le temps. De pouvoir m’arrêter, plonger, photographier ce que je veux. D’être à ma place.

Votre studio est presque un personnage à part entière. Quelle est sa place dans votre parcours ?
Ce lieu, c’est une âme. Quand je l’ai visité, j’ai tout de suite senti les vibrations. Il appartenait à une tapissière de 80 ans, une femme incroyable. Elle m’a transmis l’endroit comme un héritage. Je n’ai rien changé. Les murs sont ceux d’origine, le parquet craque, la cheminée fume encore. C’est un studio habité. Quand les modèles entrent ici, ils ressentent tout de suite quelque chose. L’énergie, la mémoire. C’est un cocon, un lieu d’émotion.
Après tant d’années, qu’est-ce qui vous fait encore vibrer ?
L’instant. Toujours. Et la beauté des rencontres. À 64 ans, je n’ai plus rien à prouver. Mais je veux continuer à être émerveillé. J’aime apprendre, comprendre, me tromper, recommencer. L’intelligence artificielle, par exemple : je la regarde, je l’expérimente. Il ne faut pas avoir peur du futur. Il faut rester curieux. C’est ça, la jeunesse, pas l’âge, la curiosité.

Votre définition personnelle du luxe ?
Le vrai luxe, c’est de choisir sa vie. De ne pas la subir. C’est le feu que j’allume chez moi le soir, un dîner en famille, une plongée au lever du jour. C’est aussi de pouvoir dire non, sans que rien ne s’écroule. Le reste, les voitures, les objets, les marques, c’est du décor. Le luxe, c’est la paix intérieure.

Enfin, si votre œuvre devait être une musique ou un film ?
Un film : Out of Africa. Parce qu’il y a le souffle, la lumière, la solitude et la beauté du monde.
Et une chanson ? Underwater Love. Parce qu’elle dit tout.
