Dans l’univers feutré du champagne, certaines collaborations dépassent le simple écrin pour entrer dans la légende. Pour cette fin d’année, Dom Pérignon s’associe une nouvelle fois à l’imaginaire éclatant de Takashi Murakami, figure majeure de l’art contemporain japonais. Ensemble, ils signent deux éditions limitées, pensées comme des icônes instantanées : le Dom Pérignon Vintage 2015 et le Dom Pérignon Rosé Vintage 2010.
At Home : Le restaurant manifeste signé Yazid Ichemrahen, entre émotions et précision — L’interview exclusive
Dans le 1er arrondissement, à deux pas de la place des Victoires, une porte discrète ouvre sur un ailleurs : At Home. Ni restaurant, ni simple pâtisserie, ni show-room — plutôt un appartement habité, pensé comme l’extension d’un homme qui a fait de la précision un langage et de l’émotion un cap. On y traverse la cuisine comme un prologue, on s’attarde au salon feutré, on déplie ses gestes dans la salle à manger privative ; partout, la même exactitude des matières, le même soin des lumières, la même signature olfactive Vanille–Tonka diffusée comme un fil invisible. Ici, le chef Yazid Ichemrahen reçoit. Il partage sa route, ses chutes, ses victoires, ses rituels. Il parle de travail comme d’une morale, du détail comme d’une élégance, et d’un luxe qui rime surtout avec discrétion. Rencontre.
At Home n’est pas un « concept ». C’est une biographie en pièces, un souvenir mis en scène, une table qui écoute. On y comprend que chez Yazid Ichemrahen, la discipline n’est jamais froide, la créativité jamais gratuite, et que la simplicité est peut-être le plus exigeant des luxes. On repart avec un parfum de jasmin et de vanille au bout des doigts — et l’envie de revenir voir comment, demain, la lumière tombera sur les mêmes choses, autrement. Rencontre et découverte.
Qui est Yazid Ichemrahen ?
« Ce mec qui fait des gâteaux », comme je dis pour rire. Plus sérieusement : un type en remise en question permanente. J’ai 34 ans, je suis né en foyer. Chaque détail de mon passé imprime mes décisions d’aujourd’hui. Je ne fais rien au hasard : il faut du sens.

Un parcours façonné par la résilience et la quête de soi, jusqu’à l’accomplissement. Quelle est, selon vous, la plus grande leçon que la vie vous ait offerte, celle qui oriente encore aujourd’hui vos gestes, vos créations, vos choix ?
La valeur travail. On nous vend la réussite facile, l’illusion d’un jackpot. Moi, ma fierté, c’est de créer et tenir : travailler, douter, recommencer.
Discipline, exigence, rigueur… comment les conciliez-vous avec créativité et émotion ?
Je n’appelle pas ça de la rigueur : c’est l’amour des choses bien faites. Je vois tout : une carafe mal centrée, une trace de calcaire, un reflet déplacé… La différence tient au regard. Certains l’ont, d’autres l’acquièrent — avec le bon entourage et de la persévérance.
Au-delà du chef, vous êtes un homme en mouvement permanent. Quelle philosophie vous aide à garder l’équilibre entre ambition, travail et vie personnelle ?
Franchement ? Zéro vie personnelle. Tout est articulé autour du travail : c’est ma zone de confort, le seul endroit où je me sens « quelqu’un ». Mais je veux évoluer. Comme disait Bernard Tapie : « Ne pas confondre réussir sa vie et réussir dans la vie. » J’ai beaucoup réussi dans la vie ; je travaille à réussir ma vie.

Rencontres fondatrices ?
Ma Tatie. Famille d’accueil, oui, mais surtout famille tout court. Sans eux, je ne serais sans doute pas là. À 13 ans, je ne pensais pas dépasser 30. Chaque année depuis est un cadeau. Mes dimanches d’enfant, l’odeur du gâteau au retour des foyers… Toute ma pâtisserie vient de là : ramener de la douceur dans le chaos.
Votre « madeleine de Proust » ?
Le fraisier du Leclerc de mes anniversaires. Rien de spectaculaire, tout d’émotion. C’est pour ça que mes desserts tiennent en trois goûts, trois textures : accessibles, lisibles, universels.

Vous décrivez At Home telle votre « maison mère », un prolongement intime de votre personnalité. Quelles émotions vouliez-vous faire ressentir aux convives qui franchissent cette porte ?
L’impression d’être chez moi. À 10h30, un matcha en terrasse, à midi un lunch sain et rapide, le soir les lumières baissent, la playlist change, la carte passe en sharing. Le même lieu, trois temps, trois atmosphères. Un appartement qui vit avec l’heure.
Chaque pièce raconte une part de votre histoire – la cuisine, le dressing, le salon, la salle à manger… Est-ce une façon de réinventer l’art de recevoir ?
Ici, tout relève d’une hospitalité sincère. Les codes sont volontairement déplacés pour que chacun se sente comme chez moi. Certains entrent sans vraiment savoir où ils sont : pâtisserie, restaurant, librairie ? Peu importe — c’est voulu. Le lieu s’aborde comme une visite privée, une déambulation entre l’intime et le partage.
On circule comme dans une maison habitée : un café au bar, une bouchée au salon, un dîner en salle à manger. Les tables modulaires, dessinées sur mesure, se rapprochent ou s’éloignent selon l’instant. L’espace, petit mais ample, joue sur cette dualité : intime et fluide à la fois, à l’image de ma façon de recevoir.

Pouvez-vous nous partager votre réflexion sur le design de l’espace, signé Pinuccio Borgonovo mais aussi les pièces que vous avez choisis de présenter, elles aussi au final telles des œuvres d’art ?
Je ne crois pas au luxe qui s’affiche. Ici, tout se chuchote : la pierre italienne dialogue avec le chêne clair, les banquettes blanches, le granité des murs retient la lumière, un faux marbre peint à la main joue l’illusion avec grâce. Les livres, Margiela, Dior, Lindbergh… sont autant de talismans silencieux. Le vrai luxe, c’est la matière juste, la trace laissée par le geste. Et jusque dans l’air flotte une empreinte subtile : Vanille–Tonka et jasmin, parfum signature imaginé avec Robertet — souffle olfactif d’un lieu habité.

Pouvez-vous nous présenter votre carte et quels voyages elle présente ?
J’ai visité 46 pays en sept ans, toujours pour le travail. Je ramène des épices, des gestes. Une burrata di Campana peut croiser une sauce soja et des noisettes (un clin d’œil pâtissier) ; une aubergine miso me renvoie à Nobu ; un plat « Comme un Sushi » cohabite avec un cru de bar de Côte d’Azur ; les carottes râpées prennent des épices orientales et une réduction de jus. Chaque plat est un souvenir. Chaque question trouve réponse dans mon passé : manger ici, c’est feuilleter ma mémoire.

Dessinez-vous vos plats ?
Non. Tout se fait dans la tête, dans l’instant, à la Pollock : intuition + sens du détail. Par exemple : vin rouge, crème vanille et huile d’olive, les tanins agressent, la vanille adoucie, l’huile exhausse. Ou une sauce soja-praliné-noisette pour dompter le sel par le gras et le croquant. Je goûte, j’ajuste, je raconte.
Vous parlez d’« expérience sensorielle et émotionnelle ». Quelle place accordez-vous aux sens autres que le goût – l’odorat, le toucher, la lumière – dans votre manière de penser la gastronomie ?
Oui. Voir, sentir, toucher, entendre… et goûter en trois temps, comme en parfumerie : notes de tête (attaque), notes de cœur (déploiement), notes de fond (mémoire). Sur mon Vanille–Jasmin, j’assemble trois vanilles (Madagascar, Inde, Tahiti) pour un blend qui évolue en bouche, iode, noisette, amertume, comme un sillage.

Une intransigeance assumée sur la cuisson des pâtes, le détail, la cohérence…
Oui. Les paccheri sont al dente, point. Je travaille avec des cuisiniers passés par des deux et trois étoiles : ils ne viennent pas pour faire joli, mais pour faire vrai. Si l’on veut autre chose, il y a d’excellentes tables à Paris. Ici, je propose ce que j’aime, mon art.

At Home est aussi une ode aux souvenirs, notamment avec « Les dimanches de ma Tatie ».
L’antithèse de la semaine minimaliste. On ne choisit pas : œufs mimosa, carottes râpées, laitue à la vinaigrette de Tatie, puis poulet rôti jus court, purée et frites de patates douces, ou saumon sauce moutarde à l’ancienne et vin blanc. En dessert, de gros gâteaux à partager. De la France profonde, dans ce qu’elle a de plus réconfortant.
La transmission semble au cœur de votre démarche.
Je vais souvent à Robert-Debré avec C’est Que du Bonheur. Un dimanche sur deux, avec l’équipe, on porte nos gâteaux en EHPAD dans le 77. Ça replace l’égo. Quand on a serré des mains qui ne seront peut-être plus là la semaine suivante, on relativise la « pression » d’un samedi soir.

Dans un monde où la gastronomie est parfois associée au spectaculaire ou à l’ostentatoire, vous avez choisi le minimalisme et l’élégance brute. Qu’est-ce, selon vous, l’avenir du luxe culinaire ?
L’extrême simplicité. J’ai des amis sur des bateaux d’envergure : ils mangent paella, barbecue, couscous. Le luxe, c’est se faire plaisir sans théâtre. Le luxe, c’est la justesse, de l’assiette à la lumière, en passant par l’art de la table (pièces faites à la main).

Et votre définition intime du luxe ?
La discrétion. Une Pétrus 86 peut être grotesque dans un mauvais contexte, et sublime à même l’herbe, au bord de la Seine, avec la bonne personne. Le luxe, c’est le choix juste, le temps choisi, l’évidence silencieuse.

